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DÉCRYPTAGE – Une attaque spectaculaire a visé les appareils de communication des membres de la milice libanaise, en pleine montée des tensions avec Israël. Le bilan de l’attaque massive contre des membres du Hezbollah au Liban est spectaculaire : au moins 9 morts et 2800 blessés. Le mode opératoire ne l’est pas moins. Ce sont les bipeurs utilisés par la milice libanaise qui ont littéralement explosé dans les poches ou les mains des victimes, comme on le voit clairement sur plusieurs vidéos qui inondent les réseaux sociaux. Mais comment ces petits appareils permettant de recevoir des messages par onde radio – tombés en désuétude depuis bien longtemps avec l’avènement des portables – ont-ils pu ainsi se transformer en bombes de poche ?

La rumeur la plus folle qui a agité les premiers commentaires semble venir tout droit d’un film de science-fiction : hackée, la batterie en lithium des bipeurs aurait surchauffé, au point de finir par exploser. C’est ainsi une hypothèse soulevée par une source du Hezbollah au Wall Street Journal qui précise que des logiciels malveillants pourraient avoir été installés sur les appareils. Mais cette théorie pourrait justement rester de la pure science-fiction. Explosifs placés dans les bipeurs Sur le vif, les experts en sécurité s’orientent vers un autre mode opératoire, à la fois plus classique, mais tout aussi stupéfiant car complexe à réaliser à une si grande échelle. Plusieurs milliers de bipeurs auraient tout simplement été piégés, en y intégrant des charges explosives. Cette hypothèse est compatible avec les déclarations de trois sources libanaises qui ont déclaré à Reuters que les bipeurs concernés étaient un modèle moderne récemment acheté par le Hezbollah au cours des derniers mois. Piéger un téléphone en y intégrant un explosif est une chose… mais piéger plusieurs milliers d’appareils en est une autre ! Il faut à cet égard intercepter et intervenir sur toute une chaîne d’approvisionnement, le tout dans une discrétion totale. Cette opération pourrait ainsi être « l’une des attaques de chaîne d’approvisionnement physique les plus importantes de l’histoire », a réagi sur X l’analyse Dmitri Alperovitch, ancien dirigeant d’une entreprise de sécurité informatique.

À lire aussi L’explosion des «bipeurs» du Hezbollah survient en pleine montée des tensions avec Israël Cité par la BBC, un ancien expert en munitions de l’armée britannique a déclaré sous couvert d’anonymat que 10 à 20 grammes d’explosif de qualité militaire pourraient avoir été cachés à l’intérieur d’un faux composant électronique, glissé dans chaque bipeur. L’engin explosif aurait ensuite été armé par un signal sous la forme d’un «message textuel alphanumérique» (terme qui recouvre les caractères de l’alphabet latin et les chiffres arabes). L’explosif ainsi armé aurait ensuite été déclenché automatiquement dès l’utilisation de l’appareil par son utilisateur. Cette hypothèse semble d’ailleurs corroborer par plusieurs vidéos qui montrent que, quelques secondes avant les explosions qui semblent s’être produites simultanément à 15h30, les membres du Hezbollah ont pris leurs bipeurs dans leur poche, comme s’ils avaient reçu un message.

Le processus de fabrication infiltré par le Mossad «D’après les enregistrements vidéo (…), un petit explosif de type plastic a certainement été dissimulé à côté de la batterie (des bipeurs) pour un déclenchement à distance via l’envoi d’un message», estime sur le réseau social X Charles Lister, expert au Middle East Institute (MEI). Ce qui signifie pour lui que le Mossad (service secret extérieur israélien, en charge des opérations spéciales, ndlr) a sans doute «infiltré le processus de production et ajouté dans les bipeurs un composant explosif et un détonateur activable à distance, sans éveiller les soupçons», renchérit l’analyste militaire Elijah Magnier, basé à Bruxelles, décrivant «une faille de sécurité majeure dans les protocoles du Hezbollah». «Soit en se faisant passer pour un fournisseur, soit en injectant les équipements trafiqués directement dans la chaîne logistique du Hezbollah via ses points de vulnérabilité (camions de transport, navires marchands), ils ont réussi à répandre les bipeurs au sein de l’organisation», estime quant à lui Mike DiMino, expert en sécurité et ancien analyste de la CIA.

Autre hypothèse, selon Riad Kahwaji, analyste sécurité basé à Dubaï, «Israël contrôle une grande partie des industries électroniques dans le monde et, sans aucun doute, l’une des usines qu’il possède a fabriqué et expédié ces engins explosifs qui ont explosé aujourd’hui». Les bipeurs, une alternative rustique aux téléphones portables Le Washington Post, citant des experts, évoque lui aussi l’hypothèse d’un «sabotage des appareils avant leurs livraisons». Au quotidien américain, Emily Harding, directrice adjointe du programme de sécurité internationale du Centre d’études stratégiques et internationales, a confié que, malgré les nombreuses zones d’ombre, il est probable qu’Israël soit parvenu à infiltrer la chaîne d’approvisionnement que le Hezbollah utilise pour ses téléavertisseurs. Bien qu’une cyberattaque soit possible, elle est peu probable étant donné la nature «extrêmement low-tech» des bipeurs, a-t-elle ajouté. L’attaque « souligne à quel point Israël a infiltré le réseau de communication du Hezbollah », d’après la chercheur Lina Khatib, du think tank britannique Chatham House, citée par la même BBC. « De nombreux membres du Hezbollah ont commencé à utiliser des bipeurs après que les téléphones portables appartenant à certains de leurs membres ont été compromis par un piratage israélien», précise-t-elle. Déjà en 1996, le Shin Bet, l’une des agences de renseignement israélienne, a assassiné un fabricant de bombes du Hamas avec un explosif placé dans son téléphone.