De Bruxelles au Texas, entre l’horloge de la cuisine et le silence du désert, la cinéaste belge Chantal Akerman (1950-2015) n’a eu de cesse d’explorer des sujets intimes, tels que la solitude ou le secret, qui s’inscrivent parallèlement dans une perspective sociologique. Jusqu’au 19 janvier 2025, le Jeu de Paume éclaire l’œuvre diverse, sensible et singulière de l’artiste, à travers ses films, installations, scénarios, photographies et interviews.
Cinéaste autodidacte
Chantal Akerman reste, encore aujourd’hui, un électron libre du septième art, principalement connu des cinéphiles amateurs de films d’auteur et d’art expérimental. La cinéaste autodidacte assure pourtant n’avoir jamais cherché à faire une œuvre intellectuelle, mais privilégie au contraire une exploration sensible à travers la caméra.
Au gré de sujets personnels, tels que l’intimité, la solitude, le deuil, les injustices sociales ou la mémoire familiale, Akerman signe son premier court-métrage Saute ma ville à l’âge de 18 ans, s’inspire de la scène underground avant de diriger le premier long-métrage Je tu il elle (1974), puis son œuvre emblématique l’année suivante : Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles. Au fil des années, la cinéaste belge s’essaye à différents genres, comme le drame, la comédie et le documentaire, en tentant toujours de leur donner la forme la plus intuitive qu’il soit, restant indifférente aux lois du marché.
Des écrans décuplés
L’exposition s’ouvre sur plusieurs installations composées avec des extraits de films de Chantal Akerman. Entre 1995 et 2015, la cinéaste en réalise une vingtaine, tandis que d’autres sont composées depuis son œuvre par des artistes. C’est le cas d’Harald Szeeman qui, avec Woman Sitting after killing (2001), présente Jeanne Dielman à travers 7 écrans de téléviseurs, diffusant en boucle la même scène durant sept minutes. Le titre, le visage impassible de Delphine Seyrig assise à sa table, l’absence de dialogue et d’action, nous installent ainsi dans une atmosphère glaçante.
Une autre salle présente aussi D’Est, au bord de la fiction, une installation de la cinéaste consacrée à la réunification de l’Europe après la chute du mur de Berlin. À travers plusieurs dizaines d’écrans, on découvre des scènes de la vie quotidienne filmées dans la ville, en parallèle de son documentaire D’Est, tourné en 1993.
Les archives, traces sensibles
Qui aime le cinéma – et qui plus est, le cinéma d’Akerman –, sera ravi d’entrer dans la grande salle de l’exposition rassemblant plusieurs de ses archives conservées à la Fondation Chantal Akerman — Cinémathèque royale de Belgique (CINEMATEK) à Bruxelles. On y découvre un extrait de son premier court-métrage, Saute la ville, des rushes, des extraits d’interviews télévisées, des photographies de tournage, mais aussi des scripts, notes d’intention et documents de recherche autour de ses différents films, qui dévoilent la sensibilité littéraire de la cinéaste.
L’intime avant toute chose
Dans l’une des interviews présentées dans l’exposition, la jeune Chantal Akerman explique sa démarche dans son film Jeanne Dielman : « J’avais déjà écrit sans avoir vraiment réfléchi à ce que ça exprimait. Je savais que c’était très fort en moi, à cause d’images que j’ai de mon enfance, de ma mère, de ma tante, c’était bien plus qu’exprimer des idées d’un point de vue sociologique ». Si la cinéaste a toujours défendu un regard féministe et humaniste, elle rappelle à bien des reprises sa volonté de concevoir une œuvre personnelle, inspirée par son expérience propre, tout comme l’illustre l’installation Autoportrait/autobiographie : un travail en cours, présentée en fin de parcours.
Romane Fraysse
Chantal Akerman. Travelling
Jeu de Paume
1 place de la Concorde, 75008 Paris
Jusqu’au 15 janvier 2025